Chapitre 2.1

Chapitre 2.1
L'ascenseur spatial AS36M
Archipel des Galápagos. 12 juillet 2079 - 800km au large de San Christóbal.
L’aérospace construit à la surface de l'océan pacifique offrait tous les avantages nécessaires au Spacelift AS36M. Une zone où les survols et la navigation étaient interdits, un climat stable, des tempêtes quasi inexistantes, une mer toujours calme, et surtout, un point d'ancrage idéal réduisant au mieux les tensions gravitationnelles extraordinaires induites par une telle structure.
Il s’agissait de la construction la plus audacieuse que l'humanité avait conçue depuis l’aube de son histoire. Un ascenseur spatial reliant une première plate-forme d'embarquement à 2000 km d'altitude, maintenue par une station orbitale de contrepoids située à 110 000 kilomètres plus haut.
À cette plate-forme, était amarré le moon Horizon, fleuron technologique à la pointe de toutes les innovations, mais réservé à une élite des plus fortunés. Un paquebot spatial permettant de transporter 900 passagers pour un séjour entre la Terre et la Lune.
Le ticket d'accès à ce privilège de 15 jours représentait pour un ouvrier ordinaire les salaires de plusieurs vies.
Aussi isolé soit-il, c'était aujourd'hui certainement l’endroit de la planète le plus densément peuplé au mètre carré. Des centaines de journalistes venus du monde entier et des milliers de curieux, d’amis ou des familles des voyageurs étaient rassemblés dans le hall d’accueil monumental de verre et d’acier pour assister au premier départ public de l'ascenseur.
Au centre, un impressionnant tube de verre blindé de 50 mètres de diamètre attendait ses premiers passagers. Légèrement teinté de bleu, le verre était enduit de superconducteurs qui pompaient l'énergie de la ceinture de Van Allen. Cette source inépuisable permettait aux nacelles de traverser le tube à plus de 3000 km/heure.
Juste devant le sas d'entrée, sur une estrade, Gregor Milgram savourait son plaisir égocentrique. Ses angoisses n’étaient que financières, et liées au risque d’un échec commercial si tout ne se déroulait pas comme prévu. Il se voulait être le plus rassurant possible, ne serait-ce que pour lui-même. Les bras tendus vers la colonne sans fin : sans moi, ce projet ne serait resté qu’un projet. 10 ans, et 100 000 milliards de dollars auront été nécessaires pour réaliser cette prouesse qui restera gravée dans l’histoire des hommes, avec mon nom juste en dessous lâcha l'homme vaniteux … Une partie de la foule applaudissait, sifflait, poussait des cris de joie et de stupéfaction, une autre plus silencieuse ne semblait aussi emballée par cette aventure.
Dans le dos de l'homme bedonnant, l’écran holographique affichait les logos des secteurs industriels concernés par ce vol ainsi que ceux des entreprises directement liées. Ces simples animations n’étaient pas juste des informations, pour Milgram, derrière ces ces fantômes numériques se cachaient surtout des investisseurs et des sommes d’argent hors de toutes proportions et de toutes raisons.
Promoteurs pour des objectifs lunaires divers, exploration, exploitation, concepteurs d’engins spatiaux, de moteurs, ingénierie d'ascenseurs, bref tout le gratin technologique des constructeurs du futur était réuni dans cette aventure titanesque.
Ne pas en faire partie, c’était rater son entrée dans la flamboyance du vingt-deuxième siècle, et c’est ce qui donnait l’impression à Milgram qu’il était Atlas, qu'une espèce de Zeus 2.0 avait par anticipation déjà condamné à porter seul la responsabilité de ce voyage sur ses épaules pour avoir voulu servir une humanité trop pressée de vouloir accéder aux cieux interdits.
un homme brandit une pancarte sur laquelle était écrit à la bombe " Save the moon", slogan que reprenait une dizaine d'autres personnes autour de lui : Vous avez vampirisé la Terre, elle est exsangue, maintenant la Lune ? Cria l'activiste. Tandis que l'homme d'affaire continuait imperturbablement son discours en pompant entre deux phrases sur son cigare holographique, les services de sécurité ceinturèrent le petit groupe avec peu de délicatesse pour rapidement l'entraîner loin des regards.
À l'autre bout du spaceport, les passagers en file attendaient de pouvoir pénétrer dans les nacelles.
L’un d'entre eux contrastait au milieu des milliardaires stoïques et discrets. Chemise vert-fluo à manches courtes, les cheveux blond-platine en bataille, Julien Anderson était la star des réseaux sociaux. Ses 150 millions d'abonnés attendaient avec impatience ses lives quotidiens. Ce voyage, il leur promettait depuis 2 ans, et il était parvenu à réunir la somme de 20 millions de dollars auprès de ses followers et de quelques annonceurs qu’il devait citer au moins une fois par jour.
Il appuya sur son oreillette, un drone de la taille d'une mouche s’en décrocha et se posta face à lui. Une petite diode verte confirmait que son live était activé : Voilà mes p’tits poulets, nous y sommes… le voyage va bientôt commencer, holala… je suis tout fou-fou, je reviens au live pour l’ascension dans… Fit-il en se trémoussant : … une petite heure, et vous n’en raterez pas une miette grâce à mon micro eyedrone en qualité 7K offert par IAstream… à tout à l'heure mes poulets chéris ! Il envoya un baiser de ses lèvres couvertes d’un revêtement gras vert pailleté avant de cliquer sur son oreillette pour rapatrier sa caméra. Un air satisfait émanait de lui, dans sa rétine artificielle, plus de 2 millions de likes accompagnaient déjà sa publication.
Lin Tsu dans la même file souriait de cette mise en scène. La fille du plus puissant propriétaire immobilier Chinois était du voyage. Ses longs cheveux noirs brillaient sous les néons bleus. Se retournant vers Ryu elle lui expliqua : C’est Julien, le streamer, vous connaissez ?
L’homme très grand pour un chinois et large comme une armoire bretonne secoua négativement la tête : Non, il me semble juste ridicule !
La jeune femme esquissa un sourire : Le fossé des générations, il est drôle et toujours inattendu. Vous aviez certainement d’autres stars du genre à votre époque ? Non ? Ryu fronça les sourcils faussement songeur. Sans décroiser les mains placées devant son costume blanc, le garde du corps se contenta de relativiser : Mon époque n’est pas si lointaine, je n’ai que quinze ans de plus que vous mademoiselle, mais il y a quinze ans, un type pareil aurait été jeté en prison pour décadence ! À son tour Lin se mit sur la défensive passive : Nous ne sommes pas en Chine, et heureusement que ce temps est révolu, et puis appelez-moi Lin, ça fera moins officiel, on passera pour des gens normaux.
- Comme vous voudrez mademoiselle Lin !
Elle lui mit un petit coup de coude dans le ventre qui ne le perturba pas le moins du monde. Ryu semblait être le genre d’homme capable de tuer un ours d’un seul coup de poing, et l'état de ses phalanges proximales écrasées et calleuses trahissait des entraînements de frappe extrêmement violents et récurrents.
Rooky, le petit yorkshire de la baronne von Strauss tremblait comme une feuille dans le sac que portait sa maîtresse, une femme quincagenaire, refaite de partout : Ne vous inquiétez pas très cher, le voyage sera des plus agréables ! Le Baron, un homme replet et grisonnant fut surpris : Mais, ma mie, je n’ai aucune angoisse quand à cette croisière voyons ! La Baronne baissa la tête pour le regarder par-dessus ses lunettes : Henri … je parlais à Rooky … hooo, pauvre créature fragile, n’ayez crainte, maman est là ! Promis la femme en caressant la tête du chien.
Derrière elle, un couple plus jeune paraissait surpris. L'homme chauve petit et nerveux dit à sa femme suffisamment fort pour être entendu par les aristocrates : Un chien … non mais je rêve ! La baronne sans se retourner précisa : pas un chien, mais MON, chien, croisé avec les plus exquis gènes de sa race.
Dans son dos, l’homme se mit un mouchoir sur le nez : il n'empêche que je suis sujet à l'asthme, il est hors de question que je voyage avec cette chose poilue dans mon environnement ! La baronne gardant son calme fit volte-face : Dans ce cas vous demanderez à voyager en soute ! Puis à l' adresse de son mari qui ne réagissait pas : Henri, bon sang, dites quelque chose ! Un peu confus et gêné, le baron se retourna, et pointa l'homme du doigt : Vous, flûte … flûte et re-flûte ! Le chauve fut surpris de cette réplique inattendue et regarda sa femme. Le noble avait déjà repris sa posture, content de lui, sous le regard navré de son épouse. Dont le bras bras vibrait sous les tressaillements de Rooky.
Dans les nacelles de transport, les voyageurs partagés entre inquiétude et excitation étaient lentement conduits vers la base de soulèvement. Le milliardaire continuait son spitch toujours aussi agité : … Nous sommes au premier jour de la révolution humaine. Aujourd'hui des touristes, et demain, l'exploitation minière et immobilière de la Lune à moindre coût !
Les questions des journalistes fusaient de toutes parts, l’homme d'affaires regardait la foule sans trop savoir à qui répondre. Il désigna un journaliste au hasard qui lui demanda :
Et concernant le risque d'incidents ? Comment évaluez-vous celà ?
L'homme à la forte corpulence affichait un sourire convaincu : Zéro ! Nous utilisons l'ascenseur depuis 2 ans pour assembler le Moon Horizon, il n’y a jamais eu le moindre incident, et il n’y en aura jamais, des techniciens travaillent H24 sur toute la structure. Et nous captons les tempêtes solaires et les orages magnétiques pour charger les compresseurs … Non, aucun risque je vous l' assure … d’ailleurs, je ferais moi-même partie du voyage !Dit-il pour rassurer tous le monde.
Un autre journaliste se lança : Et si l'ascenseur reste coincé ? Qu’est-ce qui est prévu Mr Milgram ? L’homme d’affaire plissa les yeux, un petit rictus aux coins des lèvres : Et bien nous livrerons des plateaux repas, et les voyageurs pourront à loisir profiter d’un panorama unique ! Plaisanta-t-il.
- Mais sérieusement ? repris le journaliste .
- Dans l’hypothèse ou celà arriverait, 4 nacelles de secours indépendantes sont installées au sol et 4 autres au niveau de la plateforme, il suffirait d’en déplacer une jusqu’au plateau magnétique coincé, puis une simple maintenant pour ouvrir un panneau et extraire les gens !
D’autres journalistes s’excitaient dans leurs questions, un troisième lança : Et en cas de panne, pire de chute, ça serait tragique non ?
Milgram était agacé par ces questions orientées, il leur fit comprendre : Bon, je vois que vous voulez à tout prix une catastrophe, et bien je suis désolé pour vous, mais ça n’arrivera pas, nous avons tout envisagé, et tout anticipé, même une invasion extraterrestre, c’est vous dire, d'ailleurs, je vais devoir vous quitter, il faut que j'embarque à mon tour dans quelques minutes !"conclut-il.
Les badaux et les journalistes rirent à cette réflexion, il profita de cette retombée pour saluer la foule et quitter l’estrade.
En bas des marches, ses collaborateurs l'attendaient, son secrétaire le félicita : Bravo Président, ce fut une très belle allocution ! Mais le milliardaire était furieux, frustré : Non, pas du tout, ces connards ont décidé d’avoir ma peau, c’est tout!" Grogna le riche en pompant nerveusement sur son e-cigare.
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